L’Essentiel sur… La réduction des risques et des dommages : une politique entre humanisme, sciences et pragmatisme
La consommation de produits psychoactifs illicites ou de médicaments détournés de leur usage comporte des risques sanitaires et peut provoquer des dommages sociaux.
La réduction des risques et des dommages (RDRD), sans nier le caractère illicite de certains usages, permet de considérer l’addiction comme une maladie chronique. Elle s’adresse également aux personnes non dépendantes dont les pratiques s’avèrent particulièrement dangereuses. Elle reconnaît que l’arrêt de la consommation n’est pas possible pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire, et qu’il faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour améliorer leur qualité de vie.
Initiée au moment de l’épidémie de VIH/SIDA, avec pour objectif premier de maintenir en vie les toxicomanes, la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogues est inscrite dans la loi (article L3411-8 du code de la santé publique). Elle se fonde sur des résultats scientifiques solides et participe d’un ensemble de réponses visant à prévenir les consommations, accompagner et soigner les usagers et réduire les conséquences des usages de substances psychoactives, au bénéfice de l’individu et de la société.
La RDRD a permis de faire évoluer la perception de l’usager de drogues. Perçu comme irresponsable, dépendant et suicidaire, il s’est progressivement présenté, au-delà de ses vulnérabilités, comme un individu autonome, conservant une capacité de jugement, capable d’adopter des comportements de prévention et d’agir en faveur de sa propre santé.
Loin d’être une politique permissive, la réduction des risques et des dommages mobilise un ensemble d’interventions et de dispositifs publics et privés, encadrés précisément par la loi, dans l’objectif de venir en aide à des individus souvent fragiles et longtemps stigmatisés.
Chiffres clés
La réduction des risques et des dommages, une politique qui a fait ses preuves
- Nés au début des années 1990 pour endiguer les contaminations au VIH/SIDA (1400 en 1995 contre 78 en 2022), les programmes d’échange de seringues (PES) ont évolué vers une offre plus large : par le biais d’automates, en CAARUD associant à la distribution de matériel un accompagnement des personnes, en officine via un partenariat avec un CAARUD ou encore via un dispositif à distance pour dispenser des conseils par messagerie ou téléphone et envoyer du matériel par voie postale (https://rdr-a-distance.info). Les professionnels disposent d’une liste des matériels de prévention publiée par le ministère de la Santé.
- En milieux festifs, les polyconsommations sont fréquentes et notamment l’association d’alcool et de drogues illicites. La présence d’équipes de RDRD vise à limiter les risques sanitaires (malaise, coma, surdoses, hyperthermie...), psychologiques (crise de panique, état délirant…) et sociaux (nuisance publique, possession et/ou cession de produits illicites, violences…). De nombreux outils de RDRD sont mobilisés (conseils, mise à disposition de matériel, analyse de produits) ; il est aussi important de prévoir de l’eau fraîche gratuite et à volonté, des zones de repos ainsi que l’organisation des transports.
- L’analyse de drogues, autorisée par la loi, permet de renseigner les pouvoirs publics et les usagers sur le contenu des produits. Accessible en CAARUD et en milieu festif, c’est aussi un moyen d’instaurer un dialogue plus général sur la RDRD.
- Véritable antidote des opioïdes (drogues ou médicaments), la naloxone, administrée rapidement en cas de surdose permet de sauver la vie. Elle peut être utilisée aisément par des non-professionnels du soin. En avoir à proximité de soi est essentiel. En savoir plus sur www.naloxone.fr.
Réduction des risques en prison : où en est-on ?
La loi de modernisation de notre système de santé publiée en 2016, indique que « la politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral » et prévoit un décret d’application. Ce dernier n’ayant pas été publié, huit associations mobilisées sur ces sujets, ont déposé le 18 octobre 2022 un recours auprès du Conseil d’État qui a statué le 8 avril 2024 sur l’absence de nécessité de publication d’un décret pour que la loi soit appliquée.
Les actions de réduction des risques doivent être conduites en milieu fermé, et il appartient aux acteurs impliqués de choisir les actions pertinentes et les modalités d’application de ces actions en fonction des contraintes du milieu fermé.
RDRD : une adaptation constante à l'évolution des produits et des pratiques de consommation
Afin de réduire les infections par le VIH et les hépatites, la RDRD a concerné en premier lieu l’injection de substances illicites, essentiellement l’héroïne. Elle s’est progressivement élargie aux nouvelles drogues (cocaïne, crack, etc.) et modalités de consommation (sniff, inhalation, etc.).
Depuis les débuts de la RDRD dans les années 1990, les intervenants ont progressivement acquis des compétences, en lien étroit avec les usagers de substances illicites et leurs pairs, utilisant des techniques et des outils évalués.
En 2017, la Haute Autorité de Santé a publié des recommandations de bonnes pratiques professionnelles concernant la prévention des addictions et la réduction des risques et des dommages dans les Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), et les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), établissements médico-sociaux pivots de cette politique, financés par l’assurance maladie, où les usagers sont accueillis de manière anonyme et gratuite et en 2023 dans les Établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).
Toutes les approches de RDRD tiennent compte du droit de la personne de bénéficier d’un accompagnement qu’elle soit ou non en demande de soins et pointent l’impact positif d’une libération de la parole autour des consommations, sur l’entrée en soin et la construction d’une alliance thérapeutique.
Mieux faire connaitre la réduction des risques et des dommages pour lever les craintes
Le référentiel national des actions de réduction des risques précise que « les habitants des quartiers et les élus doivent être associés à ces activités en étant informés des principes qui les guident, de leurs modalités et de leurs résultats, afin de favoriser leur implantation et d’intégrer la réduction des nuisances et des tensions à leurs objectifs ».
En effet, la réduction des risques et des dommages est souvent méconnue du grand public. L’illégalité des produits stupéfiants, le regard porté sur les personnes usagères de drogues, les nuisances occasionnées par l’usage viennent parfois compliquer l’acceptabilité sociale et ainsi l’implantation ou le bon fonctionnement des dispositifs ou des interventions de réduction des risques. Pourtant, les évaluations disponibles montrent que la présence de services de réduction des risques et des dommages a des effets positifs sur la tranquillité publique. A cet égard, l’existence d’un partenariat effectif et efficace avec les forces de l’ordre contribue à la lisibilité et à la cohérence, au niveau local, des politiques de sécurité et de santé publiques.
Les haltes soins addictions – HSA
Anciennement dénommées salles de consommation à moindre risque (SCMR), les haltes soins addictions de Paris et Strasbourg sont des espaces de réduction des risques sous supervision de personnels de santé, où des usagers de drogues majeurs sont accueillis pour consommer dans des conditions d’hygiène adaptées, avec du matériel stérile. Des soins de base ainsi que des dépistages de pathologies infectieuses et autres y sont pratiqués. Elles ont aussi pour mission de favoriser l'orientation des usagers vers des structures de soins somatiques et psychiatriques, et de traitement de la dépendance. Elles peuvent ainsi favoriser l’entrée dans un parcours de soins, voire de sevrage. Les HSA font ainsi partie intégrante de la palette des dispositifs sanitaires et médico-sociaux en addictologie. Elles s’adressent essentiellement aux usagers de drogues en situation de très forte précarité, qui ne fréquentent pas les dispositifs médico-sociaux spécialisés en addictologie et qui ont des pratiques d’usage de drogues dans l’espace public. Elles contribuent à limiter les nuisances pour les riverains et à renforcer la sécurité du voisinage.
En 2023, la HSA de Paris a accueilli 781 usagers et reçu entre 250 et 350 personnes chaque jour.
Les évaluations scientifiques internationales ont montré l’efficacité des espaces supervisés de réduction des risques ; l’évaluation indépendante des salles de Paris et Strasbourg commandée par la MILDECA à l’INSERM a confirmé l’intérêt de ces dispositifs :
- L’accès à ces dispositifs permet d’améliorer la santé de ces personnes (baisse des infections au VIH et au virus de l’hépatite C, des complications cutanées dues aux injections et des overdoses), et de diminuer les passages aux urgences.
- Des coûts médicaux importants sont ainsi évités.
- Les injections et le nombre de seringues abandonnées dans l’espace public diminuent.
- L’évaluation ne met pas en évidence de détérioration de la tranquillité publique liée à l’implantation des salles.
Idées reçues
« La réduction des risques est une approche permissive qui conforte les personnes dans leurs conduites addictives »
La RDRD reconnait que certaines personnes consomment des substances même lorsqu’ils en connaissent le statut illicite et les risques sanitaires et sociaux. Elle vise en priorité à favoriser une alliance avec la personne pour l’aider à se maintenir en bonne santé et à renforcer sa capacité d’agir (empowerment) pour bénéficier au mieux d’un accompagnement vers des dispositifs médico-sociaux et d’aide au logement. L’amélioration de ces déterminants de santé peut représenter un premier pas vers la diminution des consommations et au mieux à terme vers la sortie des conduites addictives.
« Mettre à disposition des seringues favorise l’injection de drogues »
La mise à disposition de matériel, quel qu’il soit, n’entraîne pas d’augmentation de la consommation, ni des usages les plus à risques. Au contraire, elle permet de réduire les complications les plus dangereuses de l’usage de drogues (surdose, contamination par VHC/VIH, etc.).
« Les programmes de RDRD ne sont utiles que pour les personnes très dépendantes »
La RDRD est utile à tous, qu’il s’agisse de consommateurs occasionnels, réguliers ou dépendants. Elle s’adresse à toute personne ayant une consommation de drogues illicites ou une consommation à risque d’alcool ou de médicaments.
« Punir et obliger au sevrage les toxicomanes est généralement efficace pour lutter contre l’usage des drogues »
Lorsqu’une dépendance s’est installée, la réduction ou l’arrêt des consommations ne peut s’envisager qu’en établissant une alliance thérapeutique forte avec la personne, incontournable pour s’appuyer sur sa motivation. Prévenir une rechute de l’usage de drogues n’est possible qu’en « faisant avec » les usagers, à partir d’objectifs définis avec eux.
« L’implantation de haltes soins addictions augmente le niveau de deal et de délinquance dans le quartier »
Implanter une HSA, selon les critères définis dans le cahier des charges national, incluant un travail de médiation sociale et un partenariat effectif et efficace avec les forces de l’ordre, permet de réduire les incivilités et le nombre de déchets en lien avec l’usage de drogues dans l’espace public, sans augmentation des actes de délinquance.
« Mettre en place des haltes soins addictions attire des nouveaux consommateurs de drogues »
L’installation d’une HSA (ex SCMR) permet surtout de venir en aide à des personnes, le plus souvent en grande exclusion, qui n’ont accès à aucun accompagnement, sans détérioration de la tranquillité publique.